C’est une nouvelle si terrible et si inattendue que même ses amis les plus proches en sont totalement abasourdis, plongés à la fois dans la sidération et la tristesse: Benoît Violier a mis fin à ses jours dimanche à son domicile, en retournant son arme contre lui. Il venait, à 44 ans, d’être célébré comme le «meilleur cuisinier du monde» par «La Liste», un jury international. Il fourmillait de projets, tournés vers le partage de son art. Il rayonnait de bonheur et de réussite, aux côtés de son épouse Brigitte, maîtresse de maison attentionnée. Sa table ne désemplissait pas. Le petit Charentais, élève de Robuchon, Meilleur ouvrier de France en 2000, était devenu le plus grand, mariant virtuosité et ténacité.
Sa mort brutale intervient six mois après le décès, à vélo, de Philippe Rochat. Dès 1996, le Combier l’avait élevé au rang d’héritier, avant de lui laisser en 2012 les clés de cet Hôtel de Ville de Crissier consacré temple de la gastronomie par Fredy Girardet. Dimanche soir, tandis que la nouvelle s’abattait sur eux, amis, pairs, clients, tous étaient désemparés: pourquoi?
Maître d’hôtel de cette noble maison depuis l’époque du «cuisinier du siècle», Louis Villeneuve est «inconsolable. Je vis cinq jours par semaine à ses côtés. Je me considère comme un proche et il ne m’a donné aucun signe.»
«Je l’ai beaucoup aimé»
Contacté chez lui, à Féchy, Fredy Girardet cherchait ses mots: «Je ne sais pas quoi vous répondre. C’était un élève que j’ai beaucoup aimé. Je suis complètement abasourdi. Je ne vois aucun motif à un tel acte. C’était un garçon brillant. Avec énormément de talent et un impressionnant potentiel de travail. Il donnait l’impression d’être parfait. Je vous dis, cette nouvelle, c’est le malheur.»
A Paris, le choc est palpable chez les pairs de Violier. Pierre Gagnaire avoue être «assommé. C’est le mystère de la vie, d’un homme face à son destin. Je suis extrêmement touché. J’espère que le stress lié à ce rang de numéro un n’en est pas la cause. C’était une récompense incontestable. Benoît semblait, contrairement à d’autres, tellement paisible. L’inverse d’un compliqué. Lundi, le Guide Michelin France sort à Paris. On ne va parler que de ça.»
Ami, confident, soutien, le banquier lausannois Pierre Henchoz est abattu: «J’ai passé l’après-midi avec presque toute sa brigade, ceux qu’il appelait ses «guerriers». Nous étions en bord de glace, au match de hockey du LHC, à Malley, nous avions organisé de longue date cet événement festif. Benoît nous avait dit qu’il ne pourrait pas venir, il devait se rendre à Paris pour le Michelin. A la fin du match, un de ses chefs de rang a reçu un coup de fil, il était pâle, il m’a dit que quelque chose de très grave était arrivé, sans m’en dire plus.»
Pierre Henchoz se remémore pêle-mêle les voyages à New York ou à Singapour avec Violier, pour partager plus loin son art culinaire. «Je l’ai encore vu la semaine dernière, il était si content que son jeune chef de partie, Filipe Fonseca Pinheiro, ait gagné le Bocuse d’Or. Tout allait bien, le restaurant a un carnet de réservation rempli à ras bord pour trois mois… Il faisait tout tellement juste. Il était disponible, pour n’importe quel client. Depuis quelques semaines, et cette nomination prestigieuse, le monde entier l’appelait. A-t-il eu peur du vide une fois arrivé au sommet?»
Financier et actionnaire du restaurant – il l’était déjà du temps de Philippe Rochat –, André Kudelski est «sans voix». «Nous venions de parler de ses projets d’avenir, des projets superbes.» Benoît Violier, dans la foulée de ses cours de cuisine très courus par grands et petits, voulait ouvrir une académie, pour ancrer l’art et la connaissance du goût en Suisse romande. En novembre dernier, il avait reçu l’équipe de jeunes de «Labo24» à sa table et dans sa cuisine, heureux de pouvoir surprendre et éduquer des ados à cette culture.
«Je suis atterré»
Pierre Keller, président de l’Office des vins vaudois, a partagé un verre avec lui voici dix jours à Davos: «Je suis atterré, absolument détruit. Il faut avoir une pression terrible pour faire ça… Je pense à sa femme, à son fils. Je suis client depuis 45 ans de cette belle maison… Après Philippe Rochat il y a si peu de temps…»
Les autorités sont elles aussi consternées par la disparition d’un homme dont le talent rejaillissait sur son village et son canton. Le syndic de Crissier, Michel Tendon, était très ému: «C’est une catastrophe pour sa famille, pour l’Hôtel-de-Ville, et pour Crissier.» Conseiller d’Etat en charge des relations extérieures du canton, Pascal Broulis a «d’abord espéré que ce n’était pas vrai. La nouvelle de sa disparition est très perturbante. Il avait été naturalisé devant le Conseil d’Etat il y a un peu plus d’une année. C’était une fierté cantonale, qui avait repris le flambeau et contribué à étendre encore la renommée de l’établissement. Mais je veux d’abord ce soir penser à sa famille et ses proches.»
Même tonalité chez Knut Schwander, rédacteur en chef romand du guide Gault & Millau suisse (Benoît Violier y était coté 19/20, la plus haute note possible): «C’est affreux, juste invraisemblable. Je venais de lui envoyer un message suite à l’interview qu’il avait donné avec sa femme à Darius Rochebin sur la RTS. Je voulais lui dire qu’il ne pouvait y avoir de meilleur ambassadeur que lui pour la haute gastronomie.»
«Il faisait l’unanimité»
Benoît Violier était aussi un chasseur hors pair. Il venait de sortir aux Editions Favre un livre extraordinaire sur la cuisine du gibier à plume d’Europe. Cette somme de 1088 pages et 5 kg richement illustrée complétait un premier tome sur le gibier à poil, et témoignait de l’amour et du respect que Violier portait à la nature et aux bons produits. Alexandre Berthoud, nouveau président de la Commission des finances du Grand Conseil vaudois, seul député chasseur, est effondré: «C’était un génie de la cuisine et un chasseur passionné avec une magnifique éthique. Il faisait l’unanimité.» (TDG)