On est en 1978, et le vendredi soir, dès la rentrée, voit sa grille du vendredi soir ornée d’un alléchant programme dit, de « deuxième rideau ». Apostrophe, au générique musical bien connu des téléspectateurs, devient très vite, et ses plus de 700 émissions le prouvent bien, le rendez-vous incontournable des français ou des francophones des pays voisins, entendez par là, en Suisse romande. Alors, sur votre poste PAL/SECAM, vous pouviez finir la semaine en beauté, en jetant un œil aux débats littéraire d’un homme de l’ombre, même pas diplômé de hautes écoles…
En 1978, Bernard Pivot, sans le vouloir semble-t-il, met un bâton dans la fourmilière. Songez! Des témoignages – visibles sur Youtube – de libraires de l’époque (il en reste aujourd’hui quelques uns) font état de librairies vibrant de clients dès le samedi matin pour commander le livre présenté par Pivot hier soir, voyons!
Mieux qu’un Prix, Goncourt pour ne pas le nommer, cette prestation télévisuelle a pour effet de monter la mayonnaise, comme on dit. Tout d’un coup, la France s’aperçoit que les Français lisent, et qu’en plus, pour autant qu’ils ne soient pas trop couche-tôt – en 78, 22h00 c’est à peine 19h00 pour aujourd’hui – veillent devant leurs écrans. Rappelez-vous, on attendait le sommaire de Pivot, soit la présentation, en mieux que celle de Frédéric Taddei aujourd’hui dans Ce soir ou jamais, également programmé le vendredi soir, décidément. A peine présentés, dans un ordre variable, ou bêtement dans l’ordre où ils étaient placé, les auteurs invités étaient amenés à parler de leur art… Jamais polémique – c’est un art – et toujours instruit de ses mille et une lectures, Bernard Pivot menait la danse avec simplicité et passion.
Qui ne connaissait pas Apostrophe pouvait se rabattre sur Bouillon de culture, qui lui a succédé.
Ceci sans parler de l’incarnation vivante de l’orthographe, grâce à la lecture de la dictée, à la Mairie de Paris et des centaines de participations ici et là à des rendez-vous littéraires: le livre et leurs auteurs avant toute chose. Un credo.
L’Académie Goncourt lui rend justice: il en devient le président, et clame son enthousiasme.
Qu’a donc dans le sang cet homme que jamais aucune polémique ne lui a été attachée, aucun scandale ou émission contestée ou mal jugée. La raison est peut-être le fait qu’il n’a jamais pratiqué ce qu’il qualifie lui-même de « journalisme de bidet ». A méditer.
Daniel BERNARD, Rédacteur en chef